TRACES DE MOCASSINSLouis Rémillard est un filou. Non pas dans le sens d'escroc ou de snoreau, mais plutôt à l'instar des êtres surnaturels qui peuplent le folklore des différentes nations autochtones canadiennes. Associés à la création, ils ont pour mandat de divertir les membres de la communauté et transmettre des connaissances traditionnelles sur la société, la culture et la moralité.
Voilà l'essence même de la démarche de l'auteur. Amorcée en 2016 dans l'extraordinaire Retour de l'Iroquois, Rémillard y investissait un territoire à ce jour vierge dans la bande dessinée québécoise: les Premières Nations. D'une densité historique inédite, son récit aux effluves oniriques a subjugué plus d'un lecteur. Avec raison. Spiritualité, transmission des savoirs, rapport au territoire sont autant de thèmes abordés que des vils pillages et d'obscurantisme historique pratiqué dans les institutions scolaires ont annihilés. L'artiste fait oeuvre utile. Car ce devoir de mémoire, par le truchement d'un médium qui s'y prêtre si bien - pour autant qu'on y fasse preuve de pareille verve - est plus que jamais nécessaire.
Avec Traces de mocassins, dont on a pu lire un extrait dans le Trip No 8, il récidive par le truchement de six courts récits qui nous mettent en relation avec Pieskaret, Outetoucos, Kamakateouingouetch, Savignon - en plus de retrouver avec bonheur Tokhrahenehiaron du Retour - figures historiques ayant injustement sombré dans l'oubli collectif. À la fois didactique et poétique, l'artiste nous convie à des temps immémoriaux, alors que la modernité s'apprête à transfigurer des millénaires d'une vie en complète autarcie avec la nature.
À l'ère de la fracturation hydraulique des sols gorgés de sables bitumineux et de la mise en circulation de pipelines, lire Louis Rémillard est une nécessaire prise de conscience et un acte de résistance face à ce monde de filous - cette fois-ci spoliateurs, extorqueurs et fraudeurs ayant pour seul Dieu le consumériste - dans lequel nous survivons tant bien que mal. Un des rares auteurs du Printemps de la bande dessinée québécoise à toujours être actif, Louis Rémillard a su patiemment pagayer à travers quatre décennies de création afin de nous offrir le meilleur de lui-même, et de ce que le neuvième art québécois est parfois capable d'engendrer: un chef-d'oeuvre.
Jean-Dominic Leduc
Chroniqueur BD et conférencier
